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23.12.2024Pasteur Guy Liagre : des sommets de la théologie aux sommets enneigés du Valais

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Théologien, philosophe, historien, longtemps engagé dans les plus hautes structures de l’Église réformée, le pasteur atypique de Crans-Montana n’a jamais perdu de vue la passion qui l’animait pour Dieu et pour l’humanité.


On doit la plus belle citation sur le protestantisme aux mythiques frères Edmond et Jules de Goncourt: «Il me semble voir dans une pharmacie homéopathique le protestantisme de la médecine.» Un trait d’esprit qui va comme un gant au citoyen de... Gand (Belgique), devenu aujourd’hui, à 67 ans, doyen des pasteurs du Valais et titulaire de la paroisse de Crans-Montana. L’homme est en effet détenteur d’un savoir et d’une expérience qui lui permettent de doser chacune de ses interventions avec la précision scientifique du chercheur. Ni sorties de route ni éclats révolutionnaires pour ce théologien habitué des chaires ecclésiales ou universitaires, et de la finesse diplomatique propre aux plus hautes structures confessionnelles.

Mais pas question d’enfermer Guy Liagre dans le costume de l’érudit! Il n’est jamais aussi heureux qu’au cœur de sa paroisse, lors de ses visites aux malades ou en partageant le verre de l’amitié au sortir du culte dominical.


Enfant de la Flandre

«Je suis né Gantois, donc Flamand, de parents catholiques, raconte le pasteur. Mais mon père s’est converti au protestantisme durant la Deuxième Guerre. Il n’y a jamais eu de pasteur dans ma famille, pourtant, très tôt, j’ai eu envie d’étudier pour le devenir. En fait, je ne me suis jamais vu autrement que pasteur.» Et de sourire: «Tout le monde a ses défauts, non?»

Le cursus pour devenir pasteur prévoit une licence en théologie et des stages en paroisse. «Le tout durait huit ans, poursuit Guy. J’ai passé ma licence à l’Université de Bruxelles et je suis allé en Californie étudier la philosophie d’Alfred North Whitehead.» Un philosophe magistral qui essaie d’exprimer l’infinité de l’univers dans les termes finis du langage. Insatiable lorsqu’il s’agit de savoir, Guy Liagre enchaîne avec une formation pastorale («Clinical Pastoral Training») à l’Université d’Amsterdam et un doctorat en histoire des religions au XIXᵉ siècle.


Le temps des responsabilités

Sa carrière connaîtra ensuite une progression quasi exponentielle. Après avoir été pasteur et donné des cours à l’université, le synode lui confiera la présidence de l’Église Protestante Unie de Belgique durant huit ans. Il présidera aussi le conseil œcuménique au niveau national.

Sensibilisé par les émeutes qui enflamment les banlieues de son pays sur fond de questions sociétales et religieuses, il fonde et préside alors le Conseil belge des leaders religieux, dont le but est de faciliter la coexistence des communautés. «Tout le monde a joué le jeu pour un meilleur vivre-ensemble. Il y avait le cardinal Danneels, le grand mufti, le grand rabbin, le métropolite orthodoxe, le représentant des anglicans, des communautés bouddhiste, hindoue et jaïne. Une expérience vraiment très riche.»

Mais le temps des responsabilités n’est pas fini. «Vers 55 ans, j’ai été nommé secrétaire général de la CEE, la Conférence des Églises Européennes, une plateforme de dialogue avec l’Église catholique, et également un lobby auprès du Parlement européen, de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe, notamment sur les questions relatives aux droits de l’homme.» Guy Liagre hésite une seconde: «Même si je le suis évidemment un peu, par la force des choses, je ne voudrais pas donner l’impression de n’être qu’un homme de structures. Je suis d’abord, et c’est la raison même de mon engagement, un homme de foi et de terrain. L’œcuménisme, je le pratique au quotidien, par exemple ici avec le curé Alexandre Barras…»


Du Pays-d’Enhaut au Haut-Plateau

Alors que s’approche l’heure de la retraite, Guy et son épouse – «un phare, une inspiration, ma première conseillère, je le dis d’autant plus volontiers après 50 ans de vie commune» – décident de s’établir en Suisse. Elle est professeur de religion, lui sera pasteur du Pays-d’Enhaut, cheminant régulièrement entre Château-d’Oex, Rossinière, Rougemont et L’Etivaz.

Imaginant profiter enfin du calme et de la tranquillité, le couple achète un bien en Valais, dans le beau village haut perché d’Isérables. «On est venu me chercher parce que le poste de pasteur à Crans-Montana était à repourvoir. J’ai posé la question de confiance à ma femme, à qui j’avais promis une douce retraite. Elle n’a pas hésité une seconde et m’a dit: "Vas-y ! Arrêter, ce n’est pas toi!" Alors, me voici ! Et je ne regrette rien. J’aime les visites pastorales, rendre visite aux malades dans les cliniques ou à l’EMS Le Christ-Roi. Le contact avec les gens est important pour moi: il nourrit ma foi et mon humanisme.»


«Je veux être une sage-femme de la grâce»

«J’ai découvert avec plaisir l’esprit d’une station très vivante, raconte Guy Liagre. Et une paroisse dans une situation différente de ce que j’avais connu, puisqu’ici les protestants sont minoritaires. Cela incite les gens qui s’y engagent à être très actifs et à privilégier une bonne cohésion. Nous accueillons en outre beaucoup de croyants des quatre coins de la Suisse et des différents pays d’Europe. C’est pour cette raison que nous avons instauré encore un culte anglophone, et même un autre néerlandophone.»

S’il doit faire la promotion de Crans-Montana en quelques mots, le pasteur mise sur la nature. «Notre environnement est hors du commun, de la plaine au sommet des alpages et des montagnes, en passant par les forêts, les lacs et les bisses. Je ne pratique pas le ski; en revanche, la marche, qui a le mérite de toujours me décontracter et de me déconnecter de mes activités les plus chronophages.»

Le mot de conclusion pour Guy Liagre? «Après tant d’années dans les structures d’Église, c’est une vraie joie de retrouver ma mission première, même si j’ai toujours fait en sorte de ne pas l’oublier. J’aime à la définir d’une formule qui m’accompagne depuis le début de ma carrière: pasteur, je dois être, et je suis, une sage-femme de la grâce. Il me faut ainsi rechercher sans relâche ces moments de foi intenses qu’on vit ensemble, en communauté, dans la grâce de Dieu.»

Par Jean-François Fournier