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22.07.2024Vigne abandonnée et biodiversité: exemple réussi de renaturation à Ollon

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Laisser une vigne à l'abandon est un réel problème pour la biodiversité et pour les cultures voisines. Si la parcelle est actuellement classée comme surface d’assolement (SDA), elle doit rester en état de pouvoir être cultivée. Pour différentes raisons, certains propriétaires décident d'arracher leur vigne; le processus doit alors passer par différentes étapes obligatoires et doit notamment être annoncé à l'Office de la viticulture. Certains propriétaires décident alors d'aménager la parcelle pour en faire un espace favorable à la biodiversité, à l'exemple de ce qui s'est fait à Ollon. En fin d'article, retrouvez l'interview de l’œnologue cantonale et cheffe de l’Office de la vigne et du vin valaisan Nadine Pfenninger-Bridy.


Près du village d’Ollon, un privé a décidé de mettre en œuvre des mesures en faveur de la biodiversité sur une ancienne parcelle viticole de 1200 m². Après avoir arraché les ceps à sa charge début 2023, le propriétaire de cette parcelle a reçu le soutien de la Station ornithologique suisse pour l'aider à sélectionner et planter des buissons indigènes ainsi que deux arbres fruitiers. De plus, une prairie fleurie adaptée aux sols de vignes a été semée au printemps de la même année. Celle-ci est désormais fauchée une fois par an. Les aménagements visent à favoriser les espèces végétales et animales typiques du vignoble valaisan, notamment des espèces potentiellement menacées comme la buglosse des champs (Anchusa arvensis) ou le bruant zizi (Emberiza cirlus).

Notez que la Commune de Crans-Montana soutient financièrement les aménagements et réaménagements extérieurs favorables à la biodiversité, conformément aux objectifs de la future Loi sur le climat. Cette subvention concerne les aménagements dont la superficie est supérieure à 400 m² (vigne, prairie, espaces extérieurs, etc). Informations ici, liste des bureaux agréés ici. Les subventions doivent être demandées avant le début des travaux d'état des lieux.

Photos © Station ornithologique suisse



Parcelle en avril 2023, après l’arrachage des vignes. Le sol rocailleux est encore dénué de végétation.

Première levée de végétation en automne 2023, avant la fauche. Les espèces pionnières dominent.


Plantation des buissons indigènes (au premier plan) et des arbres fruitiers en novembre 2023.


Couvert végétal en juillet 2024, après la fauche. Cette dernière apporte de la lumière au sol et favorise un couvert végétal plus diversifié à long terme.


Le bruant zizi est une espèce typique du vignoble, qui profitera dans quelques années des petits massifs de buissons plantés sur la parcelle.

 

 

La buglosse des champs fait partie du mélange de semences utilisé sur la parcelle, où elle s’est implantée avec succès.

 
 

 

 

Vignes abandonnées: attention, danger!

Sur l’impulsion du Département de l’économie et de la formation, le Canton se penche sur la modernisation et la valorisation des vignes, avec une attention particulière sur la problématique des parcelles abandonnées. Entretien avec l’œnologue cantonale Nadine Pfenninger-Bridy, cheffe de l’Office de la vigne et du vin valaisan.

Quelle analyse globale du vignoble valaisan font vos services? 

NADINE PFENNINGER-BRIDY: L’analyse réalisée par le Service de l’agriculture - avec la branche vitivinicole - montre un grand besoin de modernisation et de valorisation. Elle a pointé des indicateurs clés comme le morcellement, le manque d’accessibilité des parcelles et la difficulté de les mécaniser, leur proximité avec les cours d’eau ou les zones à bâtir, ou enfin le vieillissement de l’encépagement. 

Toutes les communes notent une augmentation des parcelles à l’abandon… 

Oui, il s’agit d’un phénomène assez général, mais surtout lié aux communes qui ont un parcellaire très morcelé, avec beaucoup des vignerons ouvriers, ou si vous préférez, des vignerons amateurs au sens noble du terme: à savoir des gens qui aiment passionnément ce qu’ils font. Nous constatons que la génération qui a pris la suite de ces vignerons ouvriers montre moins d’envie de travailler la vigne. Et puis il y a les parcelles qui tombent en hoirie et qui se retrouvent bloquées. Pour couronner le tout, ces parcelles souvent petites ne sont pas franchement intéressantes pour une reprise par les vignerons professionnels. 

Peut-on chiffrer ce phénomène de l’abandon? 

Deux à trois cents parcelles. Nous n’avons pas les ressources pour quadriller tout le vignoble valaisan et identifier toutes les parcelles à l’abandon. Nous comptons donc sur l’aide des communes pour traiter cette problématique. Devant le morcellement de ses parcelles de vignes, une commune comme Crans-Montana a ainsi fait un inventaire des parcelles à l’abandon. 

Que dit la loi à ce sujet? 

Elle dit une chose très simple à comprendre: toute propriété doit être entretenue. Dans l’ordonnance sur la vigne et le vin, il est précisé que les vignes mal entretenues ne peuvent plus disposer de leur droit de production. 

Comment avez-vous connaissance des parcelles abandonnées? 

D’abord par la surveillance du vignoble que nous effectuons. Mais aussi sur dénonciation des communes, dont on attend une vraie collaboration proactive sur ces questions, et celles des voisins qui craignent d’être colonisés par certaines espèces ou maladies proliférant sur les vignes à l’abandon. 

Pourtant, on a l’impression que certaines vignes restent à l’état sauvage… 

Le Service de l’agriculture adresse des mises en demeure pour l’arrachage ou la mise en conformité des vignes constatées à l’abandon, mais elles s’appliquent de facto avant le départ en végétation l’année qui suit. Autrement dit: le délai d’arrachage doit toujours attendre le printemps suivant. Il peut donc y avoir une année entre le constat et l’arrachage et même plus compte tenu de la procédure. Et puis il y a les parcelles pour lesquelles il n’y a eu ni constat, ni dénonciation. 

La vérité, c’est qu’il y a danger avec ces parcelles abandonnées… 

Clairement! Ces parcelles représentent un risque sanitaire pour le vignoble alentour. Ces friches peuvent devenir des foyers importants de développement de la flavescence dorée, une maladie présente actuellement sur tout le vignoble entre Conthey et le Bouveret et sans traitement connu (elle est due à des phytoplasmes qui sont des bactéries dépourvues de parois cellulaires). C’est un problème sanitaire inquiétant. Il y a aussi le Popilla Japonica, un ravageur japonais de type scarabée qui mange tout sauf les nervures des feuilles, alors que les larves s’attaquent aux racines. Il peut proliférer dans des friches sans que personne remarque sa présence et coloniser les cultures, provoquant de gros dégâts. Sa présence est déjà attestée dans la région du Simplon. Malgré les mesures que nous prenons actuellement pour contenir sa propagation, il est fortement probable qu’il arrivera tôt ou tard dans la vallée du Rhône. Pour finir, j’évoquerai également toute la problématique des plantes envahissantes, lesquelles se développent de manière incontrôlée sur les vignes abandonnées.

Qu’y a-t-il de prévu pour modifier tout ça dans le bon sens? 

Le projet de modernisation du vignoble devrait favoriser la reprise de ces parcelles à travers les soutiens prévus: le renouvellement du capital-plants, la création ou la réfection des accès, l’installation de systèmes d’irrigation par goutte-à-goutte, et l’adaptation de la conduite de la vigne. La mise en place de remaniements parcellaires pour créer des parcelles plus grandes et mieux adaptées à une activité professionnelle doit aussi aider à limiter la déprise viticole.

 Qui cela va-t-il concerner? 

L’analyse spatiale du vignoble a démontré que 1300ha nécessitaient un remaniement parcellaire, alors que 1000ha environ doivent être reconstitués. Afin d’améliorer la rentabilité et la durabilité, nous avons l’objectif de créer des unités de production de 3000 m² au minimum et d’intégrer des mesures environnementales. Nous reprendrons également à l’échelle cantonale la bourse d’échange développée dans le cadre du projet pilote de la commune de Savièse. Un crédit-cadre de 141 millions, dont 53 millions de contributions cantonales à fonds perdu, soutiendra ces efforts de modernisation et de valorisation.

 Vous avez évoqué un nouvel encépagement… 

L’évolution climatique nécessite une adaptation de l’encépagement. Les cépages autochtones et traditionnels auront toujours une large place dans le vignoble valaisan mais avec une répartition géographique qui devra s’adapter. La pression sur l’utilisation des produits phytosanitaires a contribué à la mise en place par la Confédération d’un programme d’encouragement des cépages résistants. Actuellement, la plupart de ces cépages ne sont pas adaptés au Valais, car trop précoces. Nous menons des essais sur notre Domaine de Châteauneuf avec les nouvelles générations de cépages résistants, tels que Floréal ou Voltis pour les blancs, Artaban ou Vidoc pour les rouges, qui sont mieux adaptés au Valais et avec des qualités œnologiques plus intéressantes. Ces cépages devraient à l’avenir trouver une place dans le vignoble valaisan.

Le territoire de la Commune de Crans-Montana présente-t-il des spécificités? 

Il y a des zones sur lesquelles on devra envisager un remaniement parcellaire. Une analyse environnementale à l’échelle du vignoble devra également être effectuée. La Commune et les vignerons devront avancer ensemble.

À quoi ressembleront ces parcelles arrachées puis réensemencées? 

Tout d’abord, j’insiste sur le fait qu’on ne se résout que difficilement à l’arrachage; notre rôle, c’est d’abord de favoriser le maintien de la vigne. Mais force est de constater que si on veut encore de la vigne, il faut la professionnaliser. C’est une évolution de la société qui concerne en outre tous les domaines de l’agriculture. Lorsque les parcelles sont arrachées et pas replantées en vigne, elles peuvent être des îlots de biodiversité intéressants. Ces parcelles peuvent aussi offrir une flexibilité foncière dans la création, entre ces îlots, de chemins pour la faune. Mais il faut que ces espaces de biodiversité ne péjorent pas l’activité agricole et viticole. Par exemple, la plantation de fruitiers n’est pas judicieuse à cause des risques liés au feu bactérien et à la prolifération des drosophiles suzukii. 

Propos recueillis par Jean-François Fournier

Interview parue le 13 décembre 2023 dans Vue d'Ensemble, le magazine de la Commune de Crans-Montana