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11.03.2024Séisme du 25 janvier 1946: une société de la sécurité

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Revenir sur le tremblement de terre de 1946, c’est découvrir en filigrane une autre façon d’envisager le risque. Cela permet de mesurer l’évolution qui a eu lieu dans l’intégration des dangers naturels au sein de notre société, en l’espace d’à peine 80 ans. Conclusion de cette série d'articles consacrés au séisme de 1946.


Entre croyance religieuse et causes naturelles

En 1946, la plupart des gens voient dans le séisme qui est survenu la marque du fatalisme. Des événements comme celui-ci confirment une idée bien présente au sein de la population : nous ne sommes que des «pauvres et minuscules pucerons» sur la surface de la terre, pour reprendre les mots qu’utilise le Journal de Sierre peu de temps après la catastrophe. Le séisme illustre l’impuissance des hommes face à l’existence de forces supérieures. Ces forces, deux groupes sociaux distincts les catégorisent: l’Église catholique valaisanne et les scientifiques.

La première fait du tremblement de terre un avertissement de Dieu, voire une punition divine. Pour les autorités religieuses, il faut donc s’amender pour se rapprocher de la morale chrétienne, afin d’apaiser le Seigneur. Certains curés vont jusqu’à se féliciter pour l’opportunité offerte par la situation ! Les actes de foi augmentent en Valais : confessions très nombreuses, églises pleines à craquer, processions dans tout le canton. Les édifices religieux endommagés à la suite du tremblement de terre ont certainement bénéficié de cette fièvre croyante afin de réunir les fonds nécessaires à leurs reconstructions…

À l’opposé, le monde scientifique considère le tremblement de terre comme un phénomène causé par des forces naturelles. De ce fait, les experts s’efforcent de normaliser la catastrophe et observent avec une consternation grandissante l’affolement archaïque de la population. À la croyance religieuse, aux superstitions primaires, ils opposent leurs explications rationnelles. Selon eux, les gens sont paniqués par le phénomène car il est méconnu. Or, l’émotionnel ne doit pas entrer en ligne de compte. Le tremblement de terre n’est qu’un objet scientifique susceptible de faire avancer la recherche.

Ce qui est certain, c’est que personne en Valais n’endosse la responsabilité des dégâts causés par le tremblement de terre : si le monde politique se trouvait aujourd’hui à l’avant-poste des critiques, il est alors épargné. C’est à Dieu, à la nature ou, pour ceux qui ne choisissent pas, à la fatalité qu’on doit la catastrophe.


De nouveaux enjeux

Aujourd’hui, la donne est bien différente puisque la vision des experts s’est progressivement imposée, au point d’accoucher d’une nouvelle façon d’envisager le risque.

Plusieurs causes sont à la base de cette évolution. La nature insoumise n’existe plus, la plupart de ses mystères ayant été percés. La science a fait des progrès extraordinaires. La religion occupe une place moins importante qu’en 1946. Le curé n’est plus le seul référent moral à disposition de la population et la perception religieuse est devenue marginale dans la manière de comprendre les catastrophes. Par conséquent, la notion de fatalité ne fait plus vraiment sens. Aujourd’hui, quand une catastrophe naturelle survient – tremblement de terre, avalanche, glissement de terrain –, nous mettons en cause des responsabilités humaines : ici, c’est la carte des dangers qui n’est pas respectée. Là, ce sont les constructions qui ne sont pas adaptées. Les risques sont analysés, scrutés, décodés. Nous classifions les menaces auxquelles nous sommes exposés. Des plans sont élaborés afin que le moment venu, nous soyons prêts à réagir. On décide de zones à risque, voire de zones interdites. Les autorités diffusent régulièrement les bonnes conduites à adopter en cas de catastrophe. Le danger n’est plus perçu avec fatalisme, puisque nous pouvons nous y soustraire : nous ne sommes plus les pucerons impuissants de 1946.

Toutefois, il est évident que du fait de l’urbanisation du territoire et de l’accroissement de la population, la société valaisanne demeure très vulnérable en cas de tremblement de terre. Or, la question n’est pas de savoir si un séisme surviendra, mais bien quand celui-ci surviendra. Et quand il frappera, à coup sûr il causera de nombreux dégâts. Restons optimistes ! À la différence de 1946, nous avons à notre disposition de nombreux outils que la population d’alors n’avait pas : constructions parasismiques, assurances, système de santé performant, connaissance des tremblements de terre. Les autorités valaisannes – comme c’est le cas de la Commune de Crans-Montana – fournissent un gros effort pour développer une culture du risque sismique parmi la population.

Dans une perspective historique, ces mesures disent quelque chose de la société dans laquelle nous évoluons. Elles reflètent un paradigme nouveau, celui d’une société sécuritaire qui essaie à tout prix de reléguer le danger dans un cadre acceptable. Comme un coupable doit être trouvé pour que la vie puisse continuer, et comme ni la nature, ni Dieu ne peuvent plus endosser ce rôle, c’est le monde politique – auquel on a donné mission de nous protéger – qui risque de subir les foudres populaires en cas de catastrophe. Il n’a donc d’autres choix que de faire de celle-ci un danger toujours menaçant, afin de ne jamais être pris au dépourvu.

Par Martin Bagnoud


Sources

Walter, François, Catastrophes. Une histoire culturelle, Paris, Éditions du Seuil, 2008, 380 p.

M., « La Terre, ce mystère… », Journal de Sierre et du Valais central, 08.02.1946, p. 1.


L'exposition «Tremblements de peur» est à voir du 20 février au 24 avril 2024 à la Bibliothèque de Crans-Montana. Elle sera ensuite visible à l'EMS Le Christ-Roi (en juin), dans les jardins d'Ycoor (juillet-août) et au Centre scolaire de Crans-Montana à la rentrée. Les articles de Martin Bagnoud font l'objet d'une publication gratuite disponible à la Bibliothèque.