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04.06.2024Camille Bonvin: de Chermignon aux confins de l’univers

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Un cosmologiste (ou cosmologue, les deux sont admis) est un chercheur dont la recherche porte sur la genèse, l'histoire, la structure, les contenus et l'évolution de l'univers. Camille Bonvin répond parfaitement à cette définition; elle a fait de la physique sa discipline de prédilection. Rencontre avec une fille de Chermignon au cursus impressionnant, qui adore retourner dans le mayen familial sur les hauts de Crans-Montana.

«Il n'existe que deux choses infinies, l'univers et la bêtise humaine... mais pour l'univers, je n'ai pas de certitude absolue.» Du Albert Einstein pur sucre. C’est parce qu’elle partage cette quête, cette soif de l’infini que Camille Bonvin se retrouve aujourd’hui professeur de physique à l’Université de Genève, spécialisée en cosmologie. Ou, en résumé: Camille, 45 ans, grande questionneuse des interrogations fondamentales de l’univers.

Née à Chermignon, où son père réside encore, ses souvenirs d’enfants n’ont rien à voir avec les étoiles et les planètes, «même si je me rappelle encore très bien un beau livre sur l’astrophysique acheté par maman». Ils se rattachent en effet au mayen que ses grands-parents possèdent au-dessus du lac de Chermignon. «C’est le côté nature de Crans-Montana, celui que je préfère. Petite fille, j’y allais tous les étés et j’en garde un sentiment de liberté incroyable, que je suis heureuse de partager aujourd’hui avec mes trois enfants, Léo 8 ans, Benjamin 6 ans et Amélie 4 ans. Au mayen, on peut courir où l’on veut, on est dans l’exact opposé de l’urbanité.»


L’esprit famille

Conjuguant la recherche fondamentale et la vie de maman («grâce au partage des tâches qui fonctionne parfaitement avec mon conjoint»), Camille se réjouit de ses vacances à la montagne, même si elle n’a plus guère le temps de pratiquer l’alpinisme et la peau de phoque comme autrefois: «J’ai la chance d’avoir une énorme famille, des oncles et tantes, cousins et cousines, tout ce petit monde dans les mayens alentour. On y fait toutes nos fêtes. La polenta du mercredi dans le grand chaudron. Le salé du samedi. Je me sens alors dans un cocon, protégée par tous ces gens. J’adore cette communauté, cette bienveillance. C’est précieux et on ne retrouve pas cet esprit en ville. S’il y avait une université en Valais, je viendrais en courant!»


Un cursus impressionnant

Après avoir fait ses écoles primaires et son cycle d'orientation à Crans-Montana, son collège aux Creusets à Sion, elle s’inscrit en médecine à Lausanne. «Mais, dit-elle, je suis très vite rendu compte que ce n’était pas ma tasse de thé. Je me suis rappelé les cours de physique passionnants que j’avais suivis au collège et j’ai mis le cap sur l’EPFL.»

Ensuite: doctorat en physique à l’Université de Genève, suivi de plusieurs post-doctorats qui la verront voyager à travers l’Europe, deux ans à Paris au Commissariat pour l’énergie atomique (CEA), quatre à la prestigieuse Université de Cambridge en Grande-Bretagne, et enfin, deux ans au CERN, l’organisation européenne pour la recherche nucléaire. En 2016, elle est nommée Professeure de physique à l’Université de Genève où elle dirige notamment un groupe de chercheurs en cosmologie.


La cosmologie, qu'est-ce donc ?

Comment définir la cosmologie? «Pour le dire simplement, c’est la science qui étudie comment l’univers est fait et comment il se comporte. Le cosmologiste s’intéresse plus à l’univers dans son ensemble, alors que l’astrophysicien, lui, cherche à comprendre les objets de l’univers.» Et d’ajouter dans un sourire: «En vrai, force est de constater qu’on ne comprend pas grand-chose.»

Deux domaines occupent la cosmologiste: «La matière noire d’une part, dont on ressent la présence dans l’univers, mais qu’on n’a jamais détectée directement. Il faut savoir que nos observations indiquent qu’il y a cinq fois plus de matière invisible que celle que l’on peut voir au télescope. Et, d’autre part, on essaie de comprendre pourquoi l’expansion de notre univers s’accélère depuis 5 milliards d’années. Est-ce dû à la présence d’une nouvelle forme d’énergie, appelée énergie sombre? Ou bien au fait que la théorie d’Einstein ne marche pas à très grande distance, à l’échelle de l’univers?»


L’énergie sombre

Camille attend beaucoup du nouveau télescope Euclid qui vient d’envoyer ses premières photos panoramiques à l’ESA, l’Agence Spatiale Européenne, qui va scruter le ciel durant six ans. «Il nous permettra peut-être d’en savoir davantage sur l’énergie sombre et la matière noire, mais aussi de mettre à l’épreuve la théorie d’Einstein. Il nous proposera d'ici à deux ans déjà, une cartographie de milliards de galaxies et nous montrera comment elles se comportent les unes par rapport aux autres. On pourrait ainsi mieux établir si, oui ou non, la gravitation d’Einstein est différente à l’échelle de l’univers. Pour l’heure, elle a passé tous les tests avec succès, mais avec des missions comme Euclid, on va pouvoir la tester à beaucoup plus grande distance. Ce qui n'est guère aisé : il y a énormément de théories proposées pour remplacer le modèle Einstein, mais pas une ne fait consensus!»


La Suisse en pointe

Si son salaire lui est versé par l’Université de Genève, Camille Bonvin fait tourner le groupe cosmologie de sept chercheurs qu’elle anime grâce au fonds national suisse, mais aussi aux fonds européens qu’elle a décrochés juste avant que la Suisse ne soit exclue de cette coopération. «Nous avons aujourd’hui beaucoup de nouvelles données à étudier qui pourraient nous permettre de répondre à des questions fondamentales sur notre univers.»

Et Madame la Professeure de souligner que dans la compétition internationale des équipes de recherches, la Suisse se montre très active: «Il y a aussi des groupes performants à l’EPFL, à l’EPFZ, à l’Université de Zurich, Berne et Bâle. Pour prendre un exemple, dans un domaine aussi important que celui des zones gravitationnelles, les contributions suisses sont vraiment remarquables.»

Par Jean-François Fournier