01.07.2024Gregory Pages: une touche d’art urbain à Crans-Montana
Le patron du Vision Art Festival a connu un parcours peu banal. Rencontre avec l’homme qui a positionné la station sur la carte mondiale du street art, en attendant la 10e édition qui a lieu à Crans-Montana du 1er au 14 juillet 2024.
«La rue est le cordon ombilical qui relie l’individu à la société.» Une vérité que Victor Hugo a débusquée bien avant les sociologues du XXe siècle. Et que Gregory Pages conjugue depuis dix ans sur le Haut-Plateau avec son Vision Art Festival consacré au graff’ et aux expressions artistiques issues de la rue.
Une histoire à succès qui plonge ses racines dans l’histoire somme toute urbaine et cultivée du président Pages: «Mes grands-parents déjà étaient collectionneurs d’art. Mon père a ouvert une galerie d’art à Baden Baden (Allemagne) en 1989. J’avais sept ans. Mes premiers souvenirs, c’était les jeux dans les ateliers d’Olivier Debré, Pierre Soulages et de Jean Messagier. Je me rappelle que chez Soulages tout était rangé au millimètre près, et que chez Messagier, c’est un bordel total et impressionnant!»
Grégory devient d’ailleurs très tôt collectionneur grâce à un pari qu’il propose à tous les artistes exposés par son père: «Je faisais des paris avec l’artiste sur le nombre d’œuvres vendues au final. À plus ou moins une vente, je gagnais une œuvre originale; tout autre résultat m’en rapportait deux… C’est ainsi que j’ai débuté dans le marché de l’art dès mon plus jeune âge.»
Rêves de NBA
Pourtant, il le dit lui-même: «Je ne voulais pas faire comme mes parents; je rêvais d’être basketteur et de réussir en NBA…» Grégory s’en va donc étudier en Espagne, à Madrid, sur un campus hispano-américain où il décroche une bourse grâce à son talent de joueur. «C’était génial, se souvient-il. Je progressais en basket et je pouvais étudier l’histoire de l’art et relations internationales. J’étais à deux pas du musée du Prado où j’ai découvert les maîtres de la Renaissance, et Velasquez, et le Greco pour qui j’ai tout de suite éprouvé une sorte de coup de foudre. J’ai été impressionné par la profondeur et les messages cachés de ses toiles, par sa science des couleurs qui ont survécu aux siècles. L’entrée était gratuite pour les étudiants et j’y allais sans cesse. Comme à la fondation Thyssen, privée elle, mais où ne payait que 1,5 euro…»
L’expérience américaine
Afin de compléter sa formation, Grégory Pages, l’urbain, se retrouve aux fins fonds du très agricole Missouri, dans l’université jésuite de Saint Louis. «J’ai même dû suivre les cours d’un théologien athée, et aussi surprenant que cela puisse paraître, il s’agit de mon meilleur souvenir d’étudiant.» Mais l’essentiel, le basket, n’était pas bien loin. «C’était incroyable. Nous dispositions d’un gymnase de 800 m2 avec un sublime parquet en bois et une salle de fitness où il y avait tous les engins dont disposent les professionnels. On jouait devant une salle comble de 18'000 fans en folie.»
Au terme de ses études, Grégory effectue un stage auprès des Nations Unies: «J’ai pu ainsi découvrir et me frotter au monde réel. J’étais affecté à la commission des Droits de l’Homme. J’ai adoré, mais dans le même temps, ça m’a conforté dans un choix qui était très différent.»
Crans-Montana, Genève et retour
«Mes grands-parents avaient un appartement à côté du Lac de la Moubra. En 2007-2008, au décès de mon grand-père, j’ai posé ma valise à Crans-Montana et j’ai fait une saison comme prof de ski.» Voilà qui ressemble en tout point à une récréation, puisque dans la foulée, Grégory Pages décide d’ouvrir sa galerie d’art rue du Prado. En 2011, il ouvre une galerie Grand-Rue à Genève, derrière la Corraterie. «Mais, dit-il, j’avais tout le temps envie de rentrer en Valais. Alors mon frère a repris la galerie. Moi, j’ai pris le temps de réfléchir…»
Nouveau-né bien né
Passionné de street art, Grégory trouvera l’idée de génie en 2014: un festival d’art urbain, le premier même à la montagne. «J’ai eu le soutien des autorités et de personnalités privées. La CMA et la commune de Randogne ont mis à notre disposition deux murs pour nos artistes, parmi lesquels Hebru Brantley, de Chicago, connu pour ses collectionneurs stars, dont Lebron James. Et Icy & Sot, deux frères iraniens fantastiques, influencés par Bansky notamment et qui ont fui leur pays pour les motifs politiques que je vous laisse imaginer.»
Aujourd’hui, le petit festival des débuts est devenu grand. Mieux, il fête ses dix ans: «On est allé bien plus loin que je pouvais l’espérer au départ. Quand je croise des artistes reconnus à l’étranger dans d’autres manifestations, ils me disent: “Oh, you’re the guys in the mountains!” (Vous êtes les gars dans les montagnes). Une reconnaissance qui montre bien le chemin parcouru. D’ailleurs, autre encouragement important, des créateurs qui ont commencé chez nous presque incognito sont désormais des stars du graff’. Je pense à Nicolas Party, un des dix ou douze Suisses qui peut vivre du street art, et dont les œuvres dépassent parfois les 250'000 francs. Ou à Tones One, qui trône même au Museum of Grafitti de Miami après avoir créé ici la basket géante du centre scolaire.»
Bel anniversaire !
Cette année encore, le succès s’annonce au rendez-vous. «On nous propose toujours avec beaucoup d’enthousiasme de nouveaux murs à peindre. Je me réjouis de ce dixième anniversaire qui prévoit en outre un tournoi de golf par équipes de quatre, un savant mélange d’art urbain et de musique, un mur racontera sous forme de BD géante la flore et la faune d’ici. J’aime combiner des mondes a priori opposés et montrer notre diversité.»
Seul petit regret de Grégory Pages: «Il nous est plus facile de faire venir la presse internationale que la presse suisse, et le Röstigraben ajoute encore à cette difficulté. Je peux faire venir un magazine branché de Los Angeles, mais un média suisse alémanique…»
Par Jean-François Fournier